En 2018, Google a été condamné à une amende de 4,34 milliards d'euros - soit la plus grosse amende antitrust jamais imposée par l'UE - pour avoir forcé les fabricants de téléphones à préinstaller certaines de ses applications, notamment Search et Chrome, à l'exclusion d'autres moteurs de recherche et navigateurs Web. L'amende ne représentait qu'une fraction du chiffre d'affaires de 116 milliards d'euros que la société mère Alphabet a enregistré en 2018, mais le véritable coût pour la société était la menace qui pesait sur ses revenus futurs si les smartphones étaient livrés aux consommateurs sans les applications Google déjà installées.
Google vient de faire appel de la décision et l'audience durera jusqu'au vendredi. L'appel est en cours d'examen par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) à Luxembourg, où l'entreprise espère que la décision de la Commission sera annulée dans son intégralité. L'épreuve de force au Tribunal de l'UE à Luxembourg intervient six semaines avant que le même tribunal ne se prononce sur la première décision de Vestager concernant Google, qui a vu la société condamnée à une amende de 2,42 milliards d'euros pour avoir favorisé son propre service de comparaison d'achats par rapport à ses rivaux.
En juin de cette année, Vestager a lancé une autre enquête majeure sur les services publicitaires de Google. Si ce dernier ne parvient pas à faire annuler la décision, le paysage des smartphones pourrait s'en trouver complètement remanié, mais d'autres contestations visant le gant de la recherche aux États-Unis représentent un risque bien plus important pour l'entreprise et pourraient conduire à son démantèlement en plusieurs petites entreprises. En effet, les plaintes de l'UE contre Google ont été les premières d'une cascade d'enquêtes de concurrence sur les grandes entreprises technologiques dans le monde.
L'année dernière, Google a fait l'objet de trois nouvelles enquêtes aux États-Unis. Parmi elles, une action en justice intentée par le ministère de la Justice à Washington est largement similaire à l'affaire Android de l'UE. Pour Vestager, qui a été dépeinte comme la "tueuse de technologies en chef" de l'UE, les affaires concernant Google constituent le premier grand test de sa campagne antitrust contre les géants de la Silicon Valley. Outre l'application de la législation antitrust, elle a essuyé des échecs judiciaires dans des affaires d'aides d'État concernant des factures fiscales pour Apple en Irlande et Amazon au Luxembourg.
En ce qui concerne l'affaire Google, Vestager considère que les contrats entre Google et les fabricants de smartphones Android font partie d'une stratégie globale que l'entreprise a commencé à mettre en œuvre en 2011 pour empêcher l'essor de moteurs de recherche rivaux tels que Bing de Microsoft et Seznam de la République tchèque, alors que les requêtes en ligne s'étendaient des PC aux appareils mobiles - et pour s'assurer que son principal moteur de profits, Google Search, resterait au premier plan. Google a cependant nié ces allégations. « Cette affaire n'est pas étayée par les faits ou la loi », a déclaré un porte-parole de Google.
On s'attend à ce que Google presse la Commission en particulier sur ses conclusions concernant la préinstallation de ses applications de recherche et de navigation, un débat qui devrait avoir lieu ce mardi. La Commission a constaté que la boutique d'applications "Play Store" de Google est incontournable pour les fabricants de téléphones tels que Samsung et HTC. En exigeant des fabricants qui souhaitent y accéder qu'ils préinstallent l'ensemble des applications de Google, y compris ses lucratives applications Search et Chrome, le géant américain de la technologie a réduit la capacité de ses rivaux à lui faire efficacement concurrence.
Sundar Pichai, PDG de Google et d'Alphabet, s'est défendu en 2018 en déclarant : « Android n'a pas restreint les choix, mais en a créé beaucoup plus ». Toutefois, ce n'est pas ainsi que ses adversaires voient les choses. « Google a perçu l'avènement du mobile comme une menace pour son monopole de recherche et s'est engagé dans diverses actions anticoncurrentielles pour prendre le contrôle de la recherche mobile, également », a déclaré Thomas Vinje, un avocat de Clifford Chance qui agira au tribunal au nom de FairSearch, une association qui compte Oracle et Tripadvisor parmi ses membres et a été le premier plaignant dans l'affaire Android de l'UE.
Selon les experts, les plaignants s'attendent à ce que l'offre groupée de Google s'inscrive dans le droit fil du précédent établi par la Cour dans le cadre de la première affaire Big Tech de la Commission contre Microsoft au début des années 2000, dans laquelle il a été constaté que Microsoft liait illégalement son logiciel Media Player à son système d'exploitation dominant Windows. Pour Google, une différence importante avec l'affaire Microsoft est qu'il était plus difficile à l'époque de télécharger des alternatives, contrairement à ce qui se passe aujourd'hui sur les téléphones portables, où la concurrence est à portée de main.
Ce point devrait être contesté par l'organisation européenne de consommateurs BEUC, qui intervient aux côtés de la Commission, et qui mettra en avant les preuves que les utilisateurs ont tendance à s'en tenir aux logiciels préinstallés. D'autres contrats importants concernent les paiements effectués par Google aux fabricants de téléphones et aux opérateurs de téléphonie mobile jusqu'en 2014 à la condition qu'ils préinstallent exclusivement l'application Google Search sur leurs appareils. Les plaignants dénoncent également un troisième type d'accord qui empêchait les fabricants de créer des versions alternatives d'Android.
Ils ont allégué que cela bloquait la voie à des écosystèmes concurrents, tels que le Fire d'Amazon ou le Windows Live de Microsoft. Par ailleurs, Apple s'intéresse également de près aux procédures judiciaires relatives à Android puisque les amendes et les injonctions auxquelles le fabricant de l'iPhone pourrait être confronté pour son propre système d'exploitation iOS et son App Store dépendent de la manière dont l'UE a découpé les marchés dans l'affaire Google. La Commission a constaté que Google contrôlait plus de 95 % du marché des "systèmes d'exploitation mobiles intelligents disponibles sous licence".
Mais cette définition du marché exclut Apple, car iOS ne peut faire l'objet d'une licence, ce qui signifie qu'Apple pourrait être considéré comme un monopoleur à part entière sur son propre marché. Cela s'explique en partie par le fait que les utilisateurs ne passent pas facilement d'un écosystème Apple à un écosystème Google. Si l'affaire Android porte essentiellement sur le comportement passé de Google, elle pourrait également avoir une incidence sur les développements futurs.
Pour se conformer à l'ordre contenu dans la décision de la Commission, Google a mis en place un écran de choix permettant aux utilisateurs qui installent un nouveau smartphone de choisir parmi une liste de moteurs de recherche - un menu modifié pour la dernière fois le 1er septembre. Si Google gagne le procès, il est libre d'annuler l'écran de choix. Mais il est peu probable que l'issue de l'affaire soit proche. Il faudra au moins un an au Tribunal pour rendre sa décision, qui pourra ensuite faire l'objet d'un appel devant la Cour de justice, la plus haute juridiction de l'UE.
Source : Appel de Google (PDF)
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